Souplesse des corps, rigidité des chiffres

Amis poètes, passez votre chemin: statistique ne rime pas toujours avec gymnastique mais plutôt avec épidémiologique. De ce point de vue, l'analyse de l'évolution annuelle du nombre de records du monde met en évidence de larges fluctuations au cours de l'ère olympique moderne (1896 – 2008).

Il y aurait en fait, deux périodes clés. Une première phase (1896 – 1968) de progrès rapides, d'amélioration spectaculaire des performances, à peine interrompue par les deux guerres mondiales. La deuxième phase (1968 – 2008) est en réalité marquée par une tendance à la régression. Certes, les performances progressent encore, mais leur amplitude, elle, diminue. Le gain de performance rétrécit comme peau de chagrin et, selon notre équipe de chercheurs, les records ont déjà atteint cette année 99% des "limites" estimées par le modèle statistique.

Pour ceux qui croient davantage aux chiffres et aux axiomes mathématiques qu'au génie aléatoire de l'Homme, le petit monde de l'élite sportive et l'univers de ses supporters n'entrent pas dans une ère enthousiasmante. Si l'on considère que les conditions physiologiques présentes vaudront pour les vingt prochaines années (donc sauf improbable phénomène de mutation génétique), la moitié des records dans les disciplines prises en compte sera alors établie à 99,95% de leur valeur limite. En clair, le 100 mètres plat masculin ne pourra plus être amélioré que de quelques millièmes de secondes. Plus de quoi conserver à l'épreuve reine de l'athlétisme son petit supplément d'âme… et pas de quoi changer de discipline vedette car le modèle s'applique aussi bien aux  épreuves de 50 km marche, qu'à celles d'haltérophilie, de cyclisme, de lancer de poids ou de saut en hauteur.

Dopage, l'ultime ingrédient du spectacle?

D'accord, rétorquent les inconditionnels du sport. Mais, l'amélioration du matériel, de l'équipement, des conditions de pratique, a joué – et joue encore – un rôle majeur dans l'élévation du niveau moyen et dans l'avalanche de records enregistrés à l'occasion de chaque compétition internationale. Au-delà du progrès technologique, les techniques d'entraînement, de préparation et de récupération physique connaissent une véritable révolution permanente. Comment alors fixer des limites lorsque celles-ci sont établies sur des modèles dépassés?

Moins optimistes sont ceux qui voient dans l'usage systématique du dopage l'une des seules marges de progression encore ouvertes aux "sportifs". Pour ces partisans de la real politik, l'équation est simple : puisque la machine humaine atteint ses limites, rendons-la moins humaine et davantage machine en lui administrant des produits destinés à repousser sans cesse les frontières de l'impossible et conserver ainsi l'intérêt du spectacle… et les intérêts de ceux qui en vivent.

Les chercheurs de l'INSERM n'ont évidemment pas occulté l'hypothèse dopage. Ils l'ont même hélas déjà intégrée à leur réflexion. Selon eux, le fait que des sportifs détiennent aujourd'hui des records probablement obtenus grâce au dopage pourrait altérer le modèle scientifique établi. Mais cela signifierait alors que les frontières réelles de la physiologie humaine seraient encore plus proches que prévu.

Citius, altius, fortius pour le sport; mais pour le dopage, motus?

Citius et crise de foi

Si la devise des JO fleure bon l'antiquité, même plus latine que grecque, elle est en fait d'inspiration récente. Elle est signée en 1891 d'un proche du Baron Pierre de Coubertin : l'abbé Didon, féru d'éducation de la belle jeunesse française. Seul le statut ecclésiastique de l'auteur explique la formulation latine Citius, altius, fortius. Un peu décevant, mais c'est l'Histoire.

Le maillot fait-il le record ?

On en a parlé, on en reparlera. La fameuse combinaison qui permettait aux nageuses et aux nageurs de glisser vers des records inaccessibles aux autres maillots de compétition a également posé le problème des records en natation.

Maillot ou talent ? Seule la vérité est nue, même entre deux eaux.

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