Pour arriver à ses tristes conclusions, l'équipe de l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport n'a pas eu à chausser ses pointes sur des kilomètres ou à soulever de la fonte pendant des heures. Il lui a suffi de brasser un nombre impressionnant de chiffres, de passer à la moulinette statistique des pelotons entiers de temps époustouflants, de performances mondiales historiques.

3 263 records homologués dans les cinq disciplines olympiques dites "quantifiées" (athlétisme, natation, cyclisme, patinage de vitesse, haltérophilie), établis entre 1896 et aujourd'hui. A la sortie des ordinateurs, le constat est là: aux JO de 2028 – c'est déjà demain – la moitié des records du monde ne sera plus améliorable "de façon significative". Il n'est pas sûr, dans ces conditions, que la flamme olympique brûle alors dans les cœurs du même feu qu'aujourd'hui.

Souplesse des corps, rigidité des chiffres

Amis poètes, passez votre chemin: statistique ne rime pas toujours avec gymnastique mais plutôt avec épidémiologique. De ce point de vue, l'analyse de l'évolution annuelle du nombre de records du monde met en évidence de larges fluctuations au cours de l'ère olympique moderne (1896 – 2008).

Il y aurait en fait, deux périodes clés. Une première phase (1896 – 1968) de progrès rapides, d'amélioration spectaculaire des performances, à peine interrompue par les deux guerres mondiales. La deuxième phase (1968 – 2008) est en réalité marquée par une tendance à la régression. Certes, les performances progressent encore, mais leur amplitude, elle, diminue. Le gain de performance rétrécit comme peau de chagrin et, selon notre équipe de chercheurs, les records ont déjà atteint cette année 99% des "limites" estimées par le modèle statistique.

Pour ceux qui croient davantage aux chiffres et aux axiomes mathématiques qu'au génie aléatoire de l'Homme, le petit monde de l'élite sportive et l'univers de ses supporters n'entrent pas dans une ère enthousiasmante. Si l'on considère que les conditions physiologiques présentes vaudront pour les vingt prochaines années (donc sauf improbable phénomène de mutation génétique), la moitié des records dans les disciplines prises en compte sera alors établie à 99,95% de leur valeur limite. En clair, le 100 mètres plat masculin ne pourra plus être amélioré que de quelques millièmes de secondes. Plus de quoi conserver à l'épreuve reine de l'athlétisme son petit supplément d'âme… et pas de quoi changer de discipline vedette car le modèle s'applique aussi bien aux  épreuves de 50 km marche, qu'à celles d'haltérophilie, de cyclisme, de lancer de poids ou de saut en hauteur.

Dopage, l'ultime ingrédient du spectacle?

D'accord, rétorquent les inconditionnels du sport. Mais, l'amélioration du matériel, de l'équipement, des conditions de pratique, a joué – et joue encore – un rôle majeur dans l'élévation du niveau moyen et dans l'avalanche de records enregistrés à l'occasion de chaque compétition internationale. Au-delà du progrès technologique, les techniques d'entraînement, de préparation et de récupération physique connaissent une véritable révolution permanente. Comment alors fixer des limites lorsque celles-ci sont établies sur des modèles dépassés?